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Le dialogue de l'Eglise Orthodoxe avec les Eglises de la Réformation
Pr. Dr. Viorel Ionita

 

Le dialogue de l'Eglise Orthodoxe avec les Eglises  de la Réformation
dans la perspective de la Conférence des Eglises Européennes -KEK

                                                           

1.         Le dialogue théologique s'est imposé pendant les dernières décennies comme une de méthodes les plus importantes pour le rapprochement entre les églises chrétiennes encore divisées. Pour aboutir à  un rapprochement ou même à  la restauration de la communion eucharistique entre deux ou plusieurs églises il faut que ces églises se connaissent et s'acceptent comme vraies églises de Jésus Christ, mais pour se connaître elles doivent étudier ensemble les questions qui les séparent encore.

L'Eglise Orthodoxe et notamment le Patriarcat Oecuménique se considèrent d'être parmi les fondateurs du mouvement oecuménique. Il est bien connu qu'au début du XX siècle le Patriarche Joachim le 3ème de Constantinople, en répondant aux adresses de félicitations qui lui ont été adressées par les Eglises Orthodoxes sœurs à  l'occasion de son élection comme Patriarche Oecuménique, se demandait si le temps n'est pas venu de préparer le chemin qui pourrait conduire vers l'union de toutes les églises.1* Quelques années plus tard, en 1920, le Patriarcat Oecuménique même a publié une encyclique adressée à  toutes les églises du Christ de partout en les invitant au rapprochement aux contacts et à  la communion, qui ne doivent pas être exclues par les différences doctrinales qui existent encore entre les églises.2*

En relation avec ces attitudes, le Monseigneur Damaskinos ex Métropolite de Suisse a souligné que “l'Orthodoxie a donc dû prendre ces initiatives répondant à  une nécessité pastorale étant donné que, aussi bien l'Eglise catholique-romaine que le protestantisme n'étaient pas encore pleinement libérés de leurs habitudes d'antan de s'imposer par l'antagonisme confessionnel”.3* Dans ces conditions, l'Eglise Orthodoxe avait le devoir pastoral de prendre elle-même une initiative de rapprochement, et, en même temps, d'informer d'une manière exhaustive ses ouilles parmi d'autres sur:

- la nécessité pour l'Orthodoxie de participer aux dialogues théologiques qui sont pour elle un devoir de témoignage oecuménique et d'annonce de son héritage et de sa tradition apostolique et patristique authentique ;

- la signification du processus des dialogues avec les non-orthodoxes. Ces dialogues bien qu'ayant leur source dans une authentique prise de conscience de l'Orthodoxie ne doivent pas nous entraîner à  des manifestations ou des gestes ecclésiaux prématurés non conformes aux critères canoniques posés par l'Eglise orthodoxe pour sa participation aux dialogues théologiques. Le déroulement des dialogues théologiques sera un travail de longue haleine et traversera plusieurs phases jusqu'à  son aboutissement à  un résultat positif ou négatif. Chacune de ces phases ne peut ni ne doit être considérée - par le clergé ou par le peuple orthodoxe - comme exhaustive de tout le processus du dialogue;

- et enfin, le devoir ultime du monde chrétien dans son ensemble de lutter pour la restauration de son unité ecclésiale dans le cadre de la tradition apostolique et ecclésiastique authentique de l'Eglise indivise selon le commandement du Seigneur “afin qu'ils soient un” et conformément à  la prière incessante de l'Eglise Orthodoxe “pour l'union de tous”.4*

2.         Après des préparations et des contacts entre les deux guerres mondiales quelques-unes des Eglises Orthodoxes sont devenues membres co-fondateurs du Conseil Oecuménique de Eglises en 1948, qui a soutenu et a facilité d”˜une manière considérable les dialogues théologiques soit bilatéraux soit multilatéraux entre les différentes églises du monde. Mais les bases nécessaires pour les dialogues de l'Eglise Orthodoxe ont été formulées d'abord par les conférences pan-orthodoxes, qui ont commencé en 1961.

C'est après une longue préparation, que le Patriarcat oecuménique avait pu enfin réaliser le projet déjà  ancien même à  ce moment là  d'une assemblée pan-orthodoxe plénière. Cette réunion était destinée à  préparer un prochain pro-synode, lequel devrait aboutir en son temps dans la pensée de l'Eglise orthodoxe à  un Concile oecuménique situé dans la ligne des sept premiers grands conciles de l'Eglise, où l'union serait réalisée.

La première conférence pan-orthodoxe de Rhodes a effectivement réuni, entre 24 septembre jusqu'au 1er octobre 1961, contrairement à  ce qui avait eu lieu aux réunions précédentes, toutes les Eglises autocéphales

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ou autonomes. Ne furent absentes que les petites Eglises de Finlande et de Géorgie. Encore la première s'était-elle fait excuser pour des raisons financières et la seconde était représentée par le Patriarcat de Moscou.5*

Le document préparatoire était en fait une liste des points approuvés par le Saint-Synode de Constantinople le 4 mai 1961 et contenait 8 parties. Dans le point D de la 5ème partie du document préparatoire les relations de l'Eglise orthodoxe avec les églises issues de la Réformation ont été projeté de la manière suivante :

D. L'Orthodoxie et le Protestantisme:

a) Confessions qui se trouvent plus prés de l'Orthodoxie: 1) l'Eglise Anglicane; 2) l'Eglise Episcopalienne plus généralement.

b) Confessions qui se trouvent à  une plus grande distance de l'Orthodoxie: 1) l'Eglise Luthérienne; 2) l'Eglise Calviniste; 3) l'Eglise Méthodiste; 4) Autres confessions protestantes.6*

Il y a dans ces propositions non seulement un ordre du jour pour la réunion de Rhodes mais aussi bien les directives pour l'engagement oecuménique de l'Eglise Orthodoxe toujours valables jusqu'aujourd'hui. Dans le sermon prononcé à  la sainte liturgie ouvrant la conférence, le Métropolite Chrysostome de Myre, affirmait que: “aujourd'hui plus que jamais notre Eglise Orthodoxe doit étendre sa sollicitude à  tous les secteurs essentiels de la vie, de l'activité et des intérêts du monde orthodoxe et du monde chrétien tout entier ».7*   

Un autre pas décisif envers l'ouverture du dialogue entre les Eglises Orthodoxe et les autres églises a été accompli par la première Conférence pan-orthodoxe pré-conciliaire tenue à  Chambésy du 21 au 28 novembre 1976. Cette conférence qui devait entamer les mesures concrètes pour la préparation du Saint et Grand Synode a rediscuté l'agenda établi déjà  pendant la première conférence pan-orthodoxe en 1961. Quant au troisième thème de cette agenda, concernant “la révision et évaluation générale des relations et des dialogues de l'Eglise Orthodoxe avec les autres Eglises et Confessions chrétiennes ainsi qu'avec le Conseil Oecuménique des Eglises”, la conférence de 1976 a arrêté les résolutions suivantes:

1. Les dialogues théologiques de l'Eglise Orthodoxe en cours à  ce moment-là ,  à  savoir:

- a) avec les Anglicans;

- b) avec les Vieux-Catholiques, et

- c) avec les Anciennes Eglises Orientales,

doivent se poursuivre et s'intensifier; celui avec ces dernières devrait être particulièrement activé, le but essentiel de ces dialogues demeurant la recherche fructueuse de l'unité chrétienne.

Comme la quatrième conférence pan-orthodoxe (1968, Chambésy, Suisse) avait décidé que les Eglises locales se chargeraient de la première étape de préparation au dialogue théologique avec les Luthériens, et que cette étape semble avoir été bien franchie grâce à  des travaux locaux et un grand nombre de rencontres théologiques au niveau académique, la conférence de Chambésy a décidé de créer une Commission Inter-Orthodoxe pour ce dialogue, analogue à  celles qui existaient pour les autres dialogues. Sa tâche sera de préparer du coté orthodoxe un dialogue théologique officiel avec les Luthériens.8*

Le dialogue des Orthodoxes avec les Anglicans d'un coté et les Vieux-Catholiques de l'autre coté a été discuté pendant une conférence intermédiaire à  Belgrade, du 1er au 15 septembre en 1966, donc avant la première conférence pan-orthodoxe pré-conciliaire, quand le dialogue avec ces églises était déjà  en cours. Concernant les décisions de 1976, il faut retenir tout d'abord la terminologie utilisée, qui fait une distinction entre Eglises et confession, distinction bien fondée dans l'ecclésiologie orthodoxe, mais qui dans un autre contexte d'aujourd'hui pose des grandes difficultés pour les relations oecuméniques. Il faut souligner encore que le plan pour le dialogue avec les Luthériens présupposait des tâches concrètes pour les Eglises orthodoxes locales, voir même des conversations théologiques avec ceux-ci.

Dans ces décisions était donné la base pan-orthodoxe pour les dialogues théologiques bilatéraux entre différentes Eglises Orthodoxes locales et des Eglises Evangéliques ou Luthériennes, par exemple: le Patriarcat  Oecuménique et l'Eglise Evangélique d'Allemagne (EKD) depuis 1969; l'EKD et le Patriarcat de Moscou,

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depuis 1959; l'EKD et le Patriarcat de Bucarest, depuis 1979; l'EKD et le Patriarcat de Bulgarie,

depuis 1978, respectivement 1992 (ce dialogue a commencé d'abord entre l'Eglise Orthodoxe Bulgare et la Fédération des Eglises Evangéliques de l'ex République Démocratique Allemande et depuis 1992 avec l'EKD) et enfin le dialogue entre l'Eglise Orthodoxe Russe et l'Eglise Luthérienne Evangélique de Finlande, depuis 1970. Il s'agit ici des dialogues théologiques bilatéraux les plus importants en Europe et on peut voir que toutes ces conversations ont commencé avant le dialogue au niveau mondial entre les Eglises Orthodoxes, maintenant au niveau pan-orthodoxe, et la Fédération Luthérienne Mondiale.  A coté de ces dialogues bilatéraux il faut bien mentionner aussi les dialogues qui ont eu lieu entre les orthodoxes et les représentants des Eglises de la Réformation au sein du même pays, comme c'était le cas en Allemagne, France, Finlande, Roumanie etc.

Les dialogues de l'Eglise Orthodoxe au niveau mondial ont commencé dans la succession suivante:

- avec l'Eglise Anglicane en 1973, qui continue encore;

- avec les Vieux-Catholiques en 1975, qui a été conclu en 1987 sur les thèmes théologiques les plus importants, mais on n'a pas encore trouvé la manière de d'implémentation de ces résultats.

- avec l'Eglise Catholique romaine en 1980, qui continue encore;

- avec la Fédération Luthérienne Mondiale en 1981, qui continue encore;

- avec les Eglises Orthodoxes Orientales en 1985, après des conversations théologiques très substantielles, qui avaient commencé déjà  en 1964. Ce dialogue a été conclu dans sa première partie en 1993, en traitant les questions théologiques majeures concernant surtout la Christologie avec de résultats très positifs. Sur cette base ce dialogue continue sur des questions plus pratiques pour trouver la possibilité d'établir la communion eucharistique entre les deux familles des églises.

-  avec la Fédération Réformée Mondiale en 1988, qui continue encore.

3.         La Conférence des Eglises Européennes (KEK) a suivi de près les dialogues des églises en Europe, surtout ceux des églises orthodoxes avec les églises issues de la réforme. Un des premiers pas dans cette direction était la question de la relation entre les dialogues des églises européennes et la demande d'une mission commune en Europe. Dans ce sens la déclaration finale de la consultation organisée par la KEK en février 1996, sur ce sujet même,  soulignait que la tâche des églises « est maintenant de récolter les fruits de ces dialogues aux niveaux régionaux, nationaux et locaux. Ce n'est que par ce processus que les dialogues prendront toute leur véritable signification. La variété des étapes vers la koinonia peut être grande, et inclure des accords irrévocables qui établissent de nouvelles relations entre eglises, globalement, régionalement ou à  des niveaux nationaux ou locaux. »

Une deuxième consultation organisée par la KEK, cette fois en collaboration avec l'Eglise Evangélique d'Allemagne, à  Hanovre en 1999, a approfondi “l'importance des aspects culturels lors d'entretiens et rencontres entre orthodoxes et protestants”. La déclaration finale de cette réunion faisait la constatation que les relations oecuméniques entre les Eglises Orthodoxes et Protestantes sont « désormais plus compliquées et plus tendues ». Ce même document constate en plus que « dans le cadre du dialogue et des rencontres oecuméniques de nouveaux domaines apparaissent en fonction des aspects culturels : citons par exemple la théologie et la peinture des icônes de la tradition orthodoxe qui se frayent un chemin dans la vie ecclésiale protestante ou encore la musique religieuse protestante dont le message spirituel trouve un écho toujours plus important chez les orthodoxes. De même, la littérature et le cinéma sont des formes d'art qui ont un impact sur la société et peuvent transmettre de manière positive des expériences de la foi. »

Dans la même série de consultations la KEK a organisé une autre rencontre à  Helsinki, en Finlande en septembre 2001, en coopération avec l'Eglise Evangélique Luthérienne de Finlande,  sur la réception des dialogues entre les Églises Orthodoxes et les Églises de la Réformation: "Les champs sont-ils déjà  mûres pour la moisson? La réception des dialogues entre nos églises".

La question abordée par le thème de la conférence, en référence au passage de Jean 4:35 "Ne dites-vous pas qu'il y a encore quatre mois jusqu'à  la moisson?", évoque un processus dynamique: une graine est plantée, elle pousse puis donne des fruits mûrs pour la moisson. Le mouvement oecuménique des Églises Européennes, tel que l'expérimente la KEK depuis près d'un demi-siècle, correspond lui aussi à  un processus

de maturation de l'unité ecclésiale. Ce mouvement poursuit par ailleurs un but eschatologique.

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Pendant la consultation de Helsinki on a considéré que « les tensions régnant actuellement au sein du COE, à  la suite de la vive critique formulée par les Églises Orthodoxes membres à  propos de certains développements, peuvent être désamorcées et vaincues par une écoute mutuelle attentive et par l'instauration d'un climat de confiance ». La consultation d'Helsinki a permis de faire un pas dans ce sens. Les participants à  la consultation étaient convaincus que la réception des dialogues entre les Églises Orthodoxes et les Églises de la Réformation peut renforcer la compréhension et la confiance réciproques.

Enfin, la KEK a organisé en coopération avec la Communeauté des Eglises Protestantes en Europe (CEPE) en Crète, 2002, une consultation sur le thème de l'ecclésiologie. Cette consultation a pris comme base de discussion l'étude de la CEPE portant sur "L'Église de Jésus-Christ", adoptée à  l'occasion de la quatrième Assemblée Générale de la CEPE à  Vienne en 1994. La discussion entre les deux groupes s'est déroulée dans une atmosphère franche et empreinte de confiance mutuelle. Ainsi, les théologiennes et théologiens orthodoxes ont pu se familiariser avec les textes de Leuenberg portant sur la compréhension de l'Église et de son unité tout en les étudiant d'un point de vue orthodoxe.

De leur côté les représentant(e)s de la CEPE auraient certainement souhaité bénéficier d'une introduction plus détaillée sur l'ecclésiologie orthodoxe, mais ils se sont déclarés prêts à  aborder de manière plus concrète la question de l'unité de l'Église sous l'angle orthodoxe. Si de nombreux points communs entre les deux traditions théologiques ont été relevés en relation avec l'ecclésiologie, toute une série de questions non tranchées, voire soulevant des controverses, ont également été identifiées. Le communiqué adopté à  la fin de la consultation passait en revue ces différents aspects en apportant quelques précisions. Les participantes et les participants à  la consultation de Crète ont vivement recommandé à  la KEK et à  la CEPE de poursuivre ce dialogue.

La KEK continue d'accompagner et d'encourager les églises européennes de continuer leur dialogue dans l'esprit de la « Charta Oecumenica », signé le 22 avril 2001 à  Strasbourg par les deux présidents de la KEK et du CCEE (le Conseil de Conférences Episcopales en Europe). Dans cet esprit « Pour approfondir la communion œcuménique », les efforts en vue d'un consensus dans la foi doivent absolument être poursuivis. Sans l'unité dans la foi, il ne peut y avoir de pleine communion ecclésiale. » En soulignant qu'il  n'y  a aucune alternative au dialogue, la « Charta Oecumenica » invite toutes les églises de s'engager :

     -  à  continuer consciencieusement et intensément le dialogue entre nos Églises, à  différents niveaux, ainsi qu'à  examiner ce qui, dans les résultats des dialogues, peut et doit être officiellement déclaré obligatoire;

     - lors de controverses, en particulier quand il existe une menace de division pour des questions de foi et d'éthique, à  rechercher l'échange et à  discuter ensemble ces questions à  la lumière de l'Évangile.

 

Notes

1*. The Orthodox Church in the Ecumenical Movement, Documents and Statements 1902 - 1975, edited by Constantin G. Patelos, WCC, Geneva, 1978, p.30

2*. Ibidem, p. 40

3*. Damaskinos Papandreou, Orthodoxie und Ökumene, herausgegeben von Wilhelm Schneemelcher, Verlag W. Kohlhammer, 1986, p. 203

4*. Ibidem, p.204

5*. Irénikon, XXXIV, 1961, No. 4 p. 550 7. Ibidem, p.401.

6*. Istina, 1963, p. 46

7*  Ibidem, p. 47

8*. Cfr. Irénikon, L, 1977, No 1, p. 99-100



Pr. Dr. Viorel Ionita

Directeur de la Commission « Eglises en Dialogue de la Conférence des Eglises Européennes »

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